Saturday 22 December 2018

“Rain and the Rhinoceros” de Thomas Merton

Voici une intérvention que je n'ai pu réaliser. Je voudrais la partager de tout façon parce que Thomas Merton est peu connu dans le monde francophone. Je l'offre à l'occasion de la 50ième anniversaire de son décès. 

https://www.google.com/search?q=thomas+merton+images&client=firefox-b-ab&tbm=isch&source=iu&ictx=1&fir=F0jeqnejnE4jDM%253A%252C6lrojhwAeuhlPM%252C_&usg=AI4_-kTd9HlrSgNq1FYKjFPXnDGFIEsDIw&sa=X&ved=2ahUKEwjzkOWD8LPfAhWEVt8KHX7vB1wQ9QEwDXoECAMQHg&biw=1362&bih=699&dpr=1.25#imgrc=F0jeqnejnE4jDM:



Je vais vous présenter un petit mot sur la résistance non-violente contre le capitalisme extrême. Je parlerai d’une spiritualité capable de nous soutenir dans cette résistance. Le mot, non-violence, réfère à ce qu’on ne voit pas, ce qui sort de l’intérieur, ce qui est, au fond, la transcendance. Merton puise dans sa tradition monastique pour nous donner des suggestions surprenantes.

Il faut, cependant, établir des paramètres pour pouvoir comprendre ce que Merton nous dit. En premier lieu, chaque personne regarde le monde, comprend le monde, à partir de là où elle se trouve. Les riches comprennent le monde à partir de leur château et le pauvre à partir de son bidonville. Leurs compréhensions ne coïncident pas du tout. Quant à lui, Merton regarde le monde à partir d’une cabane éloignée de son monastère, de nuit, dans la pluie. Il est accompagné, dans sa solitude, par des écrits sur la solitude d’un ermite du 6ième siècle appelé Philoxenos. La cabane est située au Kentucky où se trouvent, entre autres institutions, son monastère Trappiste, le Camp militaire Campbell qui assure la sauvegarde des installations nucléaires, et le Fort Knox, où est entassé l’or du gouvernement des États-Unis.

À cette époque, dans les années ’60, aux États-Unis, plusieurs personnes essayaient de mettre en place un mouvement catholique de résistance à la guerre du Vietnam. Ces personnes vont bientôt se réunir dans la cabane de Merton - déjà moine-ermite - pour une retraite. À ce moment-là le mot « résistance » est un mot important.

Entre temps, à New York, on vient de mettre en scène une pièce de théâtre appelé Rhinocéros. Originalement écrit en allemand pour parler du totalitarisme nazi, ce texte ests traduit et adapté, sans éviter des critiques, pour une audience américaine. Dans la pièce, les membres de ce peuple deviennent graduellement, une personne après l’autre, des rhinocéros, c’est-à-dire, des êtres super forts, violents et bêtes. Dans sa version originale, il s’agit du peuple allemand des années nazies. Pour la version de New York, il s’agit de l’Amérique capitaliste.

Ce soir-là, Merton se trouve émerveillé par la pluie, par les sons sur le toit et autour de la cabane. La pluie est gratuite, abondante, nourrissante, pleine de vie.  Merton trouve, dans le contraste entre la pluie et le rhinocéros, une image capable de nourrir la résistance. La pluie lui rappelle le pouvoir de la solitude, de l’intériorité dont Philoxenos fait l’éloge, une solitude que le rhinocéros ne peut pas connaître puisqu’il est trop occupé avec le délire d’avoir du « fun ». Merton trouve ironique la présence d’une lampe Colman qu’il a apportée pour éclairer la cabane. Sur la boite d’emballage de la lampe on pouvait lire ces mots : « Stretches days to give more fun » (Étirer la journée pour mieux s’amuser). On est donc devant les deux options : vivre la solitude ou avoir du fun.

S’amuser, c’est-à-dire se laisser intoxiqué par le plaisir sans se préoccuper de quoi que ce soit. C’est aussi, selon Merton, se donner l’idée que nous n’avons aucun besoin que nous ne puissions satisfaire immédiatement. Merton examine cette culture du fun et la met en contraste avec la solitude qui nous emmène à entrer à l’intériorité de soi pour trouver la force de vie qui nous libère de toute peur, de tout besoin. Pour Merton, c’est la pluie qui représente cette liberté, l’abondance et la gratuité, l’intériorité et la solitude dans laquelle nous sommes amenés à découvrir qui nous sommes et, ainsi, arriver à une vie intérieure.

Merton essaie de regarder ce qu’est la solitude évoquée par la pluie autour de la cabane ce soir-là. Pour la culture des rhinocéros, la richesse est la porte conduisant au fun, et s’amuser est le but de la vie. Mais, pour la pluie, ça marche tout autrement. La pluie ne cherche pas autre chose que d’être. La pluie existe. Elle n’a pas d’autre finalité. Ainsi, Philoxenos dit : « le vrai riche n’est pas celui qui possède beaucoup de choses mais plutôt celui que n’a besoin de rien ». En étant sans besoins, il est entièrement libre et, avec sa liberté, il n’a aucun besoin sauf exister en plein bonheur. Une telle attitude contredit toutes les valeurs de la culture contemporaine – sauf, dit Thomas, pour l’existentialisme et le théâtre de l’absurde ! C’est assez Zen.

Il y a bien sûr un problème avec la manière dans laquelle le contraste entre la solitude et le fait d’« avoir du fun » est présenté. Il faudrait préciser la différence entre les deux. Après tout, ce que Merton éprouve dans la solitude, représentée par la pluie, c’est le simple fait d’exister, « l’être ». On pourrait toujours dire qu’avoir du fun, c’est exactement un expérience d`être sans autre but. Alors, Merton nous donne quelques repères pour définir et mieux décrire le fait de« s’amuser », le fait d’avoir du fun, selon l’expression qu’il emploie. En premier lieu, c’est une expérience qui cherche surtout le plaisir – ce qui n’est pas toujours réalisé dans la solitude. De plus, c’est un plaisir qui ne se préoccupe pas des conséquences, ni de son impact sur soi-même et sur les autres. Donc, le « fun » dont il parle est moralement irresponsable.  La précision est importante.
Merton emprunte à Philoxenos une image pour parler de l’entrée dans la vie contemplative. En premier lieu il y a l’état du « non-né »(celui qui n’arrive pas à vivre) : être dans l’utérus avec tous ses membres mais incapable de les utiliser. Pourtant, c’est une étape nécessaire, celle d’être nourri passivement. Puis, il y a la naissance. Merton la voit comme une image de l’entrée dans la vie contemplative. On apprend à exercer son pouvoir de contempler. Pour Merton, en effet, la vie contemplative n’est pas du tout passive. Il y a une dimension absolument active dans l’exercice du pouvoir de contempler. En ce sens, c’est un virage de 180 degrés par rapport à l’idée populaire de la contemplation comme quelque chose de passif. Pour lui c’est un processus qui permet de calmer la conscience pour ainsi être attentif à la réalité. La vision de la vie monastique telle que vécue par Merton est très active ! Il découvre des enjeux profonds en lui-même, comme ceux qui se jouent aussi sur la scène mondiale et qui demandent une réponse.
Personnellement, à 78 ans, je suis beaucoup moins occupé avec toutes sortes d’activés externes. Je me trouve souvent des journées entières, même des semaines, à ne faire rien d’autre que de m’occuper de moi-même, de réfléchir, de lire, d’écrire (trop peu). C’est difficile à mettre ses sentiments et ses idées en ordre – surtout quand les années et les souvenirs s’accumulent. C’est difficile de ne pas se mesurer par ce qu’on fait, ou ce qu’on a fait. C’est un défi de simplement se laisser être, d’être devant la gratuité de la vie, de la nature et de Dieu, de l’amour.

On aurait pu nommer cet essai « Rain and Rhinoceritis » parce que c’est exactement en tant que souffrant d’une maladie profonde que Merton examine la société actuelle et sa culture du fun. Il faut dire, et Merton le reconnaît, que Ionesco, auteur original de la pièce de théâtre en question, n’avait pas aimé la traduction de cette pièce qui transforme la maladie de rhinocérite en recherche du fun au lieu de dénoncer le totalitarisme.  En contraste, peut-être avec Merton, on pourrait aujourd’hui se demander s’il y a une telle différence entre une société du fun et une société totalitaire.  En tout cas, Merton examine le côté fun, « s’amuser » comme nœud pour comprendre la société américaine. Pour Merton, se centrer sur le fait de s’amuser, c’est nier la réalité, se donner l’illusion qu’il n’y a aucun besoin qui ne peut pas être satisfait immédiatement – donc l’omnipotence !  Devant la vie, le résultat final, c’est le désespoir.

Prêter attention à la pluie, c’est entrer en résistance à la logique du rhinocéros, de Fort Knox et du Camp Campbell, c’est adopter une attitude d’être, contemplative, sans attendre plus. C’est chercher son vrai soi, et pas le soi dicté par la culture ambiante. Mais, il faut le dire, ceux et celles qui adoptent cette attitude critique vont vite trouver que la résistance au fun a aussi un prix et que ça peut être lourd. Cependant, Merton nous avertit que la petite mort de la solitude n’est rien à comparer avec la grande mort qui nous englobe.


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