Voici le texte d'une conférence que j'ai donné dernièrement à Montréal. Il s'agit de présenter au monde francophone la pensée de quelqu'un peu connu dans ce milieu. Je commence avec l'identité fausséé de l'individu dans la culture moderne occidentale. Ensuite je propose un récit développé par Thomas Berry et Brian Swinme. Je conclue avec des implications. (C'est un peu long !)
(Conférence
préparé pour Terre Sacrée, Montréal)
16 novembre 2013 Richard Renshaw
Qui est Thomas Berry ?
Thomas
Berry est né en 1914 et est décédé en 2009 à Greensboro, en Caroline du Nord. Il
s’est identifié comme historien culturel, et souvent il se présentait comme un
géologien. Thomas Berry était un prêtre catholique romain de la congrégation
des Passionnistes (un groupe semi-contemplatif). Sa pensée s’inspire, entre
autres, d’un regard critique sur l’œuvre de Teillard de Chardin. À une certaine
époque, il a été président de l’Association Teillard des États-Unis. Il a vécu
en Chine et avait une vaste compréhension des traditions religieuses de l’Asie
incluant l’hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme et surtout le confucianisme. Aujourd’hui, ses idées sont largement
répandues parmi les intellectuels dans beaucoup de domaines et font l’objet
d’une acceptation de plus en plus large.
Son livre le plus important et le plus influent, The Dream of the Earth (Le
rêve de la terre) a été publié par le Sierra Club en 1988. (Plus tard, il a collaboré avec Brian Swimme
à la publication de The Universe Story
(Le récit de l’univers). D’autres publications incluent The Great Work (La grande œuvre), The Sacred
Universe (L’univers sacré) et Evening Thoughts (Pensées du soir). Il est
intéressant de noter que Thomas Berry entre rarement en débat avec des auteurs
contemporains (bien qu’il critique souvent les penseurs classiques). Il rassemble plutôt les idées de beaucoup
d’écrivains contemporains et les incorpore dans sa proposition. Ce groupe inclut des gens comme Lynn
Margulis, Carl Sagan, Theodore Rozsak et beaucoup d’autres.
Thomas Berry
fut l’une des premières voix (après Rachel Carson) à déclarer vigoureusement que
l’impact de l’activité humaine mettait en danger l’avenir de la vie sur la
planète au point de causer la plus grande extinction des espèces depuis le
temps des dinosaures alors que 90% de toutes les espèces avaient été détruites.
Selon Berry, nous sommes devenus sourds et
aveugles à la réalité qui nous entoure.
Surtout depuis la Deuxième Guerre mondiale, nous avons pensé être
désormais en mesure de dominer la nature et d’en faire disparaître tous les
inconvénients. Nous allions finalement
la soumettre totalement. On n’y voyait
aucune limite ; la solution était
de consommer de plus en plus, et de produire n’importe quoi. Thomas Berry suggère alors que la solution
est plutôt de mettre de côté notre fureur contre les inconvénients de notre
situation naturelle, de reconnaître notre propre encodage génétique et de le
traduire dans un encodage culturel en harmonie avec ce qu’il appelle la grande
liturgie de l’univers. Ayant perdu le sens
de qui nous sommes, Berry nous invite à rentrer « chez nous », à réintégrer
notre véritable demeure.
Sa question : Mais
alors qui sommes-nous ?
Comme bien des penseurs sérieux aujourd’hui (Steven
Eisenstein, Lynn Margoulis, entre autres), Thomas Berry croit que nous ne
savons plus qui nous sommes. Le
problème, c’est que nous avons une notion déformée de qui nous sommes et, en
conséquence, de ce qu’est le monde autour de nous. C’est sur cette déformation que Thomas Berry
a dirigé son attention. Il affirmait que nous étions aveugles et sourds à
ce qui est juste devant nous : la réalité de notre planète et de notre
cosmos ; ils constituent les clefs
de la compréhension de qui nous sommes.
À la
question: qui sommes-nous ?, la plupart des sociétés ont répondu en examinant notre origine et
notre destinée. Comme historien des
cultures, Thomas Berry est bien placé pour nous offrir des pistes d’approfondissement
de la question.
Sa RÉPONSE : DES rÉcits
Thomas Berry
commence par établir le cadre de la pensée qui va marquer sa contribution à cet
appel pour l’avenir de la planète Terre en soulignant l’importance des récits
dans la vie et l’histoire humaines. Il
réfère particulièrement à des récits de grande envergure et universels ; ils nous situent dans le monde en offrant une
vision de notre origine et de notre destinée.
De fait, ce
fut cette référence aux récits qui a d’abord retenu mon attention pour Thomas
Berry au début des années 1990 alors que j’étudiais l’éducation des adultes à
l’université de Toronto. Je revenais
alors d’une décennie au Pérou. Au cours
de ces années là-bas, je me suis intéressé à la culture andine et à ses récits traditionnels,
surtout les récits de ses origines.
Quand je suis revenu, j’ai eu aussi la chance d’entendre Art Solomon, un
aîné Ojibwa, père de deux sœurs de Saint-Joseph que j’ai pu connaître :
Eva et Priscilla. Là encore,
l’explication de la façon dont les Première Nations du Canada se percevaient en
rapport avec la Terre et la manière dont ils expliquaient leurs origines et
leur destinée en tant que porteurs du feu m’intéressaient au plus haut
point. Ma recherche m’a conduit à
appliquer cette approche pour comprendre la mission de l’Église
aujourd’hui. J’en suis venu à la
conviction que les récits étaient vraiment la meilleure façon de communiquer
avec la génération actuelle.
Ces grands récits universels, on les appelle des
mythes, non pas dans le sens qu’ils ne sont pas vrais, mais précisément dans le
sens qu’elles offrent de manière
hautement symbolique une vérité profonde qui nous fournit un cadre de vie. Thomas Berry affirme que toutes les cultures
possèdent de tels récits. Dans la Bible,
nous avons le récit de la création dans les premiers chapitres de la
Genèse ; les peuples aborigènes de l’Isle
de la Tortue (Turtle Island) ont un récit relatant la façon dont la Mère Ciel
envoya des messagers au fond des eaux pour tirer la Terre des profondeurs et la
placer sur le dos de la Grande Tortue : ce qui aurait donné naissance à
l’Île de la Tortue ou ce que nous appelons l’Amérique du Nord. Dans les Andes, le peuple Aymara possède un récit
de l’union entre le Soleil et les eaux du lac Titicaca qui donna naissance aux
premiers êtres humains. Et ainsi de
suite.
Berry fait
appel surtout à des récits épiques construits ainsi pour nous engager au plus
profond de notre être dans le grand exploit cosmologique. Ce sont des récits qui appellent au cœur, à
l’émerveillement, au sens numineux du monde. C’est ici en effet la source primaire
de la religion.
À notre époque, surtout en Occident et partout où les
valeurs scientifiques et commerciales de l’Occident se sont répandues, nous
semblons avoir perdu cette référence universellement partagée à une histoire
commune. C’est parce que nous n’avons
pas ce cadre commun que nous avons inventé des versions extrêmement
fantaisistes de la vie en tant que progrès continu avec une croissance
économique sans fin ; cela a mené à
la destruction de la mince peau écologique vivante qui recouvre la planète
Terre et lui fait courir un grave danger au moment même où les inégalités entre
les peuples ont produit d’énormes déséquilibres dans la qualité de vie entre
les êtres humains.
Pour
introduire la pensée de Thomas Berry, l’un de ses collaborateurs les plus connus,
Brian Swimme, a utilisé l’histoire de l’œil pour illustrer comment Thomas Berry
approche sa question fondamentale : Qui sommes-nous ? Voici ce qu’il avait à dire dans son
introduction du livre le plus connu de Thomas Berry : The Dream of the Earth (Le rêve de la terre, p. vii-viii) :
Nous, les
humains d’aujourd’hui, sommes tellement habitués à faire référence à des
éléments visuels de la conscience qu’il peut nous sembler difficile d’imaginer
une époque où la vie se propageait sans que l’œil en fasse intégralement
partie. C'est pourtant bien ce qui s’est passé : un monde aveugle fut le
terrain de combats épiques, de stratégies grandioses et d’intenses sensations,
sans qu’y intervienne le spectacle de majestueuses cataractes, l’expérience de
ciels d’azur ou la palette colorée de déserts s’embrasant sous la première
pluie.
Ces essais de Thomas Berry sont l’équivalent
d’un nouvel œil permettant de voir la Terre et d’une nouvelle oreille
permettant de l’entendre. … Nous avons,
bien sûr, des yeux et des oreilles et nous pouvons observer la Terre. … Mais la
vision de la Terre qu’envisage Thomas Berry va plus loin. … La
pleine réalité de la Terre et de l’Univers a échappé à l’étroite bande de
sensibilité de nos yeux et de nos oreilles que le monde industrialisé mobilise.
(Traduction de Daniel Laguitton)
L’histoire
de l’univers
Avec bien
d’autres éducateurs, scientifiques, historiens et philosophes, Thomas Berry
nous offre un modèle pour un nouveau récit qui apporte à presque tous les
peuples du monde actuel une façon d’encadrer la vie humaine : un récit qui
s’enracine dans ce que la science nous révèle de l’histoire de l’univers. Comme tous les grands mythes, il s’agit d’un
récit qui raconte l’histoire avec une insistance particulière sur sa dimension
symbolique. C’est une histoire que seule
notre génération actuelle peut commencer à raconter. Jamais auparavant dans l’histoire humaine il
ne fut possible de raconter cette histoire de la façon dont nous pouvons le
faire aujourd’hui. Nous sommes les
premiers à pouvoir raconter, à partir des sources scientifiques, comment
l’univers a commencé, les diverses périodes qu’il a traversées de même que les
origines et l’évolution des différentes étapes du développement de la vie, à
partir des premiers eucaryotes jusqu’aux multiples bactéries cellulaires, aux
organismes vivants complexes et finalement jusqu’à la créature devenue
pensante, l’être humain. De bien des
manières, il s’agit de notre histoire.
C’est une
histoire qui met en cause nos références culturelles actuelles, développées au
cours des 600 dernières années, à partir du début de la Renaissance ; elle modifie tout le monde scientifique
construit par des penseurs comme Newton, Descartes, Hobbes, Leibniz, Locke et d’autres.
Ce monde voyait de plus en plus l’univers et la vie sur notre planète
comme une réalité mécanique régie par des lois immuables. Aujourd’hui, avec l’avènement de la physique
moderne, particulièrement la physique quantique, toute cette notion a été
renversée. En outre, la théorie de la
compétition de Darwin, qui a alors été traduite dans les sphères économique et
politique comme étant une théorie de la compétition pour la survie, est revue
pour en faire une de collaboration et de coopération dans le développement
d’une communauté de vie globale. C’est
une histoire, affirme-t-il, citant Theodosius Dobzhanski, qui n’est ni
déterminée, ni le fruit du hasard, mais plutôt une histoire créative.
Permettez-moi
d’esquisser le plus brièvement possible quelques éléments de l’histoire de
l’univers telle qu’elle a été façonnée en récit épique par Thomas Berry et
Brian Swimme (un physicien qui a collaboré pendant plusieurs années avec Thomas
Berry au développement des notions fondamentales de l’histoire).
Au
commencement, il n’y avait rien. Surgit
alors un infime point de temps et d’espace de la grosseur de la pointe d’une
aiguille, qui contenait déjà toute l’énergie qui a jamais existé dans
l’univers. La force de cette première étincelle
s’est déclenchée à une vitesse extraordinaire, mais aussi à une vitesse qui
n’aurait pas pu être plus lente d’un trillionième de seconde, car autrement
l’univers n’aurait pas pu continuer à exister, mais aurait implosé et serait
retourné à nouveau dans le néant. Si cette
force avait été un tout petit peu plus puissant, plus rapide (un trillionième de
seconde), l’univers se serait répandu en un grand espace-temps sans vie,
dépourvu de tout développement ultérieur.
La différence est si faible qu’elle défie toute mesure ou hasard. À cette étape, dans cette première seconde,
il n’y avait qu’une écume d’énergie sans éléments, sans atomes, seulement les
plus petites particules de matière sans forme stable ou sans lois pour les
régir. À la vitesse de l’éclair, elles sortaient
de l’énergie noire fondamentale et y entraient, car elles n’avaient pas encore
appris comment fonctionner. Cette
période s’est terminée lorsque, à travers l’expérience, les particules eurent
appris une structure (la gravitation, l’électromagnétisme, les deux
interactions nucléaires — forte et faible).
Si ces petites particules de matière avaient créé une autre structure,
ce qui a suivi aurait été totalement différent.
Tout cela est survenu en moins d’une seconde. Depuis lors, 13,7 milliards d’années de la courbure
du temps-espace se sont écoulées, à la fin desquelles seul un milliardième de
la matière originale continue d’exister.
Ce qui a pu
passer par ce tout petit chas d’une aiguille était constitué de photons, de
protons et de neutrons. Pendant un
milliard d’années l’univers matériel était fondamentalement constitué de
lumière. Nous sommes enfants de cette
lumière.
Au terme de
ces premiers milliards d’années, la force de la matière noire qui constitue de
loin la partie la plus importante de l’univers attira tout dans son emprise
noire. Elle canalisa ainsi l’énergie en une concentration dense qui l’a fait
exploser encore une fois en une méga supernova qui a éjecté les éléments que
nous connaissons aujourd’hui dans un vaste déploiement d’un milliard de galaxies,
dont l’une est notre galaxie spirale, celle qu’on appelle la Voie lactée avec
ses milliards d’étoiles.
Chaque petit
morceau de matière formée à travers cette énorme explosion de supernova existe
toujours aujourd’hui. Il n’a fait
qu’entrer dans des transformations continues de relations. Sous-jacente à tout cela se trouve la grande
matrice d’énergie qui constitue 90% de l’univers que nous connaissons qui nous
est totalement cachée — même des instruments scientifiques. Même nos propres corps sont largement faits
de cette « matière sombre », pure énergie qui interagit avec les
particules, les atomes et les molécules dont ils sont composés. De plus, nous le savons, dans chacune de nos
respirations il y a des atomes que Jésus et tout être humain de l’histoire
ancienne ont aussi respirés, et au cours d’une année, nous respirons des atomes
qui ont traversé les poumons de tout autre être humain sur terre. Nous sommes profondément et étroitement liés
les uns aux autres.
Comme nous le
savons, l’univers est sacré, non seulement selon un langage
« religieux » habituel, c’est à dire en tant que créé par Dieu qui
est sacré. Il est sacré dans le sens le
plus primordial, celui qui donne valeur au fait que nous le mettons en lien
avec le créateur. Il est sacré dans le
sens qu’il constitue le cadre de tout ce que nous sommes.
Au sein de
notre galaxie se trouve la planète Terre qui est apparue il y a quatre
milliards d’années en tant qu’élément de ce que nous appelons le système
solaire. Au début, la Terre était un
chaos bouillonnant de chaleur et de lumière, un chaos bouillonnant de feu. À mesure qu’elle se refroidissait, d’énormes
quantités d’hydrogène et d’oxygène ont agi les unes sur les autres pour former
de l’eau. Quelque part aux abords de ces
masses d’eau, les conditions étaient telles que des molécules étaient capables
de former des cordes appelées protéines, et les premiers indices de vie
émergeaient. Ces premières formes de vie
dépendaient du dioxyde de carbone et leur plus grand ennemi était
l’oxygène. La plupart vivaient dans les
régions les plus profondes et les plus sombres de ces eaux. (Et c’est encore le cas, en fait). Il a fallu beaucoup de temps avant que les
premiers êtres vivants apprennent à profiter de l’oxygène par la manipulation
de la lumière du soleil comme source d’énergie.
Ainsi la cellule a pu marquer le début de la vie, telle que nous la
connaissons. À cette étape, la Terre est
complètement couverte d’une fine « peau » de vie qui descend à
plusieurs centaines de mètres sous la surface et va jusqu’à plusieurs
kilomètres au-dessus. De plus en plus de
scientifiques réalisent que cette peau est en fait unifiée, étroitement liée, à
un système écologique global. Cette
théorie que la Terre possède cette composante vivante à travers toute sa
surface s’appelle la théorie « Gaia », du nom de la déesse grecque de
la Terre. Il est important de
reconnaître cela, car, dans ce cas, toutes les créatures (les bactéries et les
organismes primitifs, mais aussi les poissons, les oiseaux, les animaux, les
plantes et enfin même les êtres humains) sont le produit de cet environnement
vivant.
En un
processus extraordinaire de créativité, la Terre a réalisé un grand rêve : produire un être
vivant capable de devenir l’auto-conscience de l’univers. C’est-à-dire, nous n’avons pas été
« placés sur la terre », mais nous sommes plutôt « sortis de la
terre ». La reconnaissance est
révolutionnaire parce qu’elle nous situe dans une relation tout à fait nouvelle
avec la Terre et toutes ses créatures vivantes.
Il en est particulièrement ainsi parce que les êtres humains sont un
développement extraordinaire à partir des espèces moins complexes, et notre
corps vient de l’apprentissage évolutionniste de ces créatures qui se sont
développées avant. Nous devons nous
souvenir que pendant plus de 13,4 milliards d’années sur les 13,7 de l’histoire
de la Terre, il n’y avait personne pour voir ou entendre ce qui se
passait. Ce ne fut qu’avec l’émergence
des êtres vivants multicellulaires que le processus de l’évolution de l’œil pouvait
commencer et réaliser ces capacités. Ces
apprentissages conduiront éventuellement à l’émergence des plantes avec
feuilles capables de transformer la lumière du soleil en énergie (c’est-à-dire
la photosynthèse), ensuite des animaux avec des yeux primitifs (encore, d’une
autre manière, cette même transformation) et finalement d’un organe
extraordinairement délicat qu’on appelle un œil.
Et il est
important de nous rappeler que nos yeux, comme notre cerveau et toute autre chose
nous concernant, sont totalement dépendants de chacun des stades antérieurs
dans l’histoire évolutionniste au cours des 13,7 milliards d’années.
L’important
c’est que dans les dernières étapes de cette longue histoire, a émergé à un
moment donné une créature qui, non seulement était consciente, mais qui est
progressivement devenue consciente d’elle-même.
Il y a un demi-million d’années ou plus, un processus de conscience de
soi a commencé à émerger. Il semble que
les origines de cette capacité de conscience de soi apparurent quand nos
ancêtres essayèrent au début de tracer des lignes sur les pierres. Ici les
pictogrammes devinrent les premiers exemples d’un essai d’externaliser quelque
chose qui se produisait dans leur conscience.
Alors est né le langage.
L’histoire
humaine fit un autre grand bond en avant lorsque cette conscience apprit
comment manier les processus des semences et se tourna vers l’agriculture et la
domestication des animaux. (Il y a
quelque 10 000 ans). À cette étape, les
humains commencèrent à détenir un certain contrôle sur la gestion de leurs
environnements, les adaptant à leurs besoins et commençant à vivre ensemble,
d’abord dans de petits villages et, ensuite,
il y a quelque 5 000 ans, dans des villes. (Donc, l’arrivée des civilisations.)
L’important est de savoir que notre espèce a été
préparée et façonnée à travers toute cette histoire. Selon Berry, nous sommes arrivés
aujourd’hui à un grand tournant de l’histoire de la Terre. Il constate que
l’ère cénozoïque (l’ère des mammifères) et terminée. Nous entrons dans une
autre ère : l’ecozoique, là où la conscience humaine gère le destin de la
Terre.
Cette
histoire de l’univers - que je vous raconte -- est rendue possible pour la
première fois dans l’histoire humaine grâce à des études scientifiques des
récentes décennies en physique, en biologie, chimie et en archéologie. Nous ne devons pas être étonnés si cela nous
laisse un peu déconcertés et confus au premier abord. La transformation n’est pas mineure. Depuis le 16e siècle, nous nous
sommes habitués à une vision mécanique du monde, et un certain effort est
nécessaire pour nous réajuster à une vision qui restaure pour nous, non pas les
détails, mais l’émerveillement des périodes antérieures de notre propre histoire.
(Au plus haute dégrée, je vous recommande la lecture de « L’Odyssée de l’Univers », le premier livre en français qui raconte ce récit tel que développé par Brian Swimme et Mary Evelyn Tucker : Éditions Véga, 19, rue Saint-Sevein, 75005, Paris, 2012)
(Au plus haute dégrée, je vous recommande la lecture de « L’Odyssée de l’Univers », le premier livre en français qui raconte ce récit tel que développé par Brian Swimme et Mary Evelyn Tucker : Éditions Véga, 19, rue Saint-Sevein, 75005, Paris, 2012)
Thomas Berry
emploie le mot « sacré » pour parler de cet aspect de l’univers. La qualité sacrée est une façon de parler de
l’intentionnalité du déploiement de l’univers à partir de la première
« étincelle » dans la grosse boule de feu que fut le Big Bang. Cette qualité sacrée de l’univers est
étroitement liée à ce qu’il veut dire par le « rêve de l’univers »,
c’est-à-dire que, dès les tout débuts, du premier moment de l’étincelle, la
spontanéité de l’imagination était à l’œuvre, quelque chose qui ressemble à un
rêve. Cela inclut une intentionnalité
toujours en mouvement vers une plus grande diversité, une plus grande communion
et une plus grande intériorité. Thomas Berry relie cela au commencement de
l’Évangile de Jean où c’est le Verbe qui est présent et opérant dès les tout
débuts. Il ne s’agit pas uniquement d’un
mot intellectuel indiquant un contenu, mais plutôt un mot vital qui indique une
présence et une profondeur. C’est la
même imagination qui a produit les grandes œuvres de Dante, Shakespeare, Molière,
mais aussi les galaxies, la Terre et tout ce qu’elle contient. On peut aussi appeler cela un processus
éducatif à mesure que l’univers apprenait à maîtriser les divers défis à
travers le processus évolutionniste.
Dans l’encodage génétique de nos propres corps et de ceux de toutes les
créatures vivantes, nous pouvons détecter l’histoire de cet apprentissage. Malheureusement, nous nous sommes tournés
vers un encodage industriel pour tout réinterpréter de façon mécanique.
C’est avec
l’arrivée de Descartes et de Newton (parmi d’autres), que le processus a pris
ce tournant étrange. Ils se sont coupés
du sens ancien du caractère sacré de l’univers.
Ils ont séparé la dimension « sacrée » ou
« spirituelle » de la dimension « matérielle » et ont
déclaré cette dernière sujette aux lois qu’ils pouvaient définir et qui leur
permettaient de manipuler le monde matériel. En effet, ils ont mis fin à notre
participation à la grande liturgie cosmique, pour ensuite commencer le saccage
de la Terre. Cette aliénation a pris un tournant fatal au cours des quelques 100
dernières années.
Quelle est la leçon ? LES LOIS DE L’UNIVERS :
En étudiant
l’histoire de l’univers, Thomas Berry a identifié trois principes fondamentaux
qui la guident : la diversité, la communion, la subjectivité. En plus, il existe plusieurs dynamiques
omniprésentes : l’auto-gouvernance, l’auto-organisation, l’auto-guérison,
l’auto-génération, l’auto-épanouissement, entre autres.
Un examen de chacun de ces principes va révéler les dynamiques capables
de nous guider au long du chemin de la découverte de nous-mêmes. Si nous sommes les enfants de la Terre, si
nous sommes la Terre qui pense, la Terre qui guérit, alors la dynamique qui
guide la Terre, de même que tout l’univers, sera le cadre fondamental de notre
existence dans le monde.
La diversité (la créativité)
Tout dans la
nature tend à se diversifier. La Terre
génère une très grande diversité. Il
n’existe pas deux flocons de neige totalement semblables ; ne le sont pas non plus les fleurs
individuelles, les oiseaux, les animaux ou encore nous-mêmes. Nous tendons à penser que l’eau se définit
par H2O et que c’est tout.
Mais les scientifiques nous disent que la structure moléculaire de l’eau
varie de façon infinie. Tout comme il
existe beaucoup de variétés de neige et de glace, il existe aussi plusieurs
variétés d’eau liquide selon son contexte.
Même s’il peut y avoir bien des similitudes, chacune est unique. C’est cette prédisposition à la créativité, à
l’abondance, à la diversité qui constitue le premier principe de l’univers et
de toute vie.
Ce principe
comporte des implications importantes à bien des niveaux. En agriculture, nous savons que la
monoculture est très dangereuse, et pourtant c’est en général ce que nous avons
pratiqué au cours des 100 dernières années.
Nous savons que la multiplicité des langues et des cultures dans le
monde est une source phénoménale de sagesse et de beauté, et pourtant elles se
meurent sous le poids d’un mono-culturalisme mondial. Nous savons que le bio-régionalisme offre des
ressources suffisantes pour que l’humanité subvienne à ses besoins, et pourtant
nous insistons sur une économie mondiale qui repose sur des transferts
aller-retour de divers éléments avec des conséquences désastreuses pour
l’équilibre de nos écosystèmes partout sur la planète.
La communion
La communion
est un autre principe fondamental de l’univers.
Darwin insistait pour dire que l’évolution advenait à travers la
compétition pour la survie. Des études
biologiques plus récentes indiquent que ce n’est pas le cas. Les arbres collaborent entre eux pour assurer
un environnement ajusté au développement de la forêt.
Le lichen
constitue une communauté entre des algues et un champignon. Ni l’un ni l’autre ne peuvent exister sans
l’autre et ils ne survivent que grâce à leur collaboration mutuelle.
Le corps
humain est un magnifique exemple de collaboration entre les divers organes et
les structures cellulaires, mais aussi entre une immense variété de bactérie
qui habitent chacune des cellules de notre corps et collaborent à assurer que
tout fonctionne ensemble. Nous vivons
vraiment dans un univers.
Le fait que
toute chose est liée à tout le reste constitue un principe de base de tout
l’univers. Ainsi, le chaos apparent au
niveau sous-atomique tel que le révèle la physique quantique est en fait un
processus par lequel la diversité et la créativité sont promues par la
communion de toutes les parties de l’univers, même lorsqu’elles sont très
séparées à la fois par le temps et l’espace.
De fait, les découvertes de la physique quantique ont laissé la physique
classique, avec ses lois universelles de gravité et de thermodynamique, dans un
sérieux dilemme. L’univers n’est plus un
objet à étudier comme une réalité en dehors de soi. Nous en faisons partie ; fondamentalement,
nous le façonnons de bien des manières (comme nous existons aussi grâce à
lui). Nous participons à la nature et
nous ne pouvons vraiment apprendre quelque chose de la Nature qu’en prenant
part à ses processus.
En outre, la
communauté de la Terre doit devenir pour nous, êtres humains, un lieu de communion. Thomas Berry réfère souvent au fait que nous
devons retrouver l’intimité avec la Terre, avec la Nature. Cette notion d’intimité traverse toute sa
pensée. Il déplore que nous l’ayons
perdue, et il cherche à tracer la voie pour la recouvrer. L’intimité est la capacité de communion avec
la Terre : communion de réciprocité, d’écoute et de regard ; communion dans le fait d’être nourris et
comblés par la Terre. Nous y
reviendrons.
La subjectivité (intériorité, intentionnalité)
Mary Evelyn
Tucker (qui a reçu le mandat de continuer le travail de Thomas Berry) définit
la subjectivité comme « la composante intérieure sacrée présente en toute
réalité ». Elle affirme aussi que
c’est ce qu’on appelle la conscience.
Pour certains, cette dimension est particulièrement difficile à
reconnaître et à accepter. Nous pouvons
la comprendre jusqu’à un certain point chez les mammifères et peut-être même
chez de plus petites créatures.
Cependant, certains peinent à reconnaître comment elle pourrait être
présente dans des bactéries ou des plantes.
Encore plus difficile est de reconnaître sa présence dans l’eau, dans
l’air ou dans la pierre. Pourtant, le
principe est central dans la pensée de Thomas Berry. L’Univers se meut avec une intention
consciente, c’est-à-dire, dans un effort
de créativité pour faire émerger la pleine conscience. C’est
« l’articulation interne » de l’univers. Dans la plus grande partie de l’univers, il ne
s’agit pas d’une conscience similaire à la nôtre, et nous avons du mal à penser
qu’il y a là, au fond, une même réalité fondamentale. Thomas Berry insiste sur le fait que nous -
les êtres humains - sommes l’univers en train de devenir conscient de lui-même,
que nous - les êtres humains - sommes la Terre en train de penser. Et il insiste pour affirmer que cette
conscience est une évolution à partir du substrat de conscience sous-jacent
partout présent et sans lequel il serait difficile de comprendre comment
l’Univers et notre Terre ont évolué.
Ceci nous
amène alors à reconnaître plusieurs fonctions à l’œuvre sur notre planète
Terre. J’en mentionne deux :
L’auto-gouvernance
Les
écologistes savent qu’il existe une collaboration entre les éléments d’un écosystème
de façon à maintenir son équilibre.
Cependant, dans ce cas, nous parlons de toute la Planète et, en fait, de
l’Univers lui-même. Dans le cas de la
Planète, nous pouvons utiliser l’exemple de l’équilibre climatique.
Même si la
chaleur du soleil qui atteint la Terre a pratiquement doublé au cours des 100
dernières années, jusqu’à tout récemment, la planète maintenait à sa surface
une température stable grâce à sa régulation de l’atmosphère. Si l’équilibre est rompu actuellement, ce
n’est pas à cause des forces de la nature, mais plutôt à cause de notre
interférence humaine.
C’est même
plus extraordinaire en ce qui concerne l’Univers. Le Big Bang original aurait pu être un petit
peu plus fort ou plus faible qu’il ne le fut.
S’il avait été un peu plus faible, l’univers aurait implosé sur
lui-même, se serait attiré lui-même dans un trou noir et ne serait jamais
réapparu. Si l’explosion avait été un
tout petit peu plus forte, l’univers aurait pris une expansion à un rythme
accéléré qui n’aurait pas permis la formation des étoiles et des galaxies. La différence est si ténue qu’elle défie
toute imagination. C’est quelque chose
qui va bien au-delà du domaine du hasard qui est supposé avoir gouverné les
lois de la physique et de l’évolution.
Il semblerait
donc qu’il existe dans l’Univers, tout comme sur notre Planète et dans les
plantes, les animaux et dans nos propres corps, une force à l’œuvre qui assure
que le processus évolutionniste suive une voie qui a toutes les apparences du chaos,
mais qui, inévitablement, donne lieu à une avancée vers de nouvelles
expressions de la diversité en équilibre avec tout le reste.
L’auto-guérison
Nous savons
tous l’histoire du feu de forêt qui détruit tout et qui, avec le temps, fait
pousser une nouvelle forêt pleine de vitalité.
Le désastre est un prélude à de nouvelles expressions de vitalité, de
diversité et de créativité. Les fermiers
savent qu’une terre qui a été épuisée peut se régénérer si on lui laisse
amplement de temps pour le faire. De la
même manière, nous savons que l’eau qui a été polluée va se purifier elle-même
si elle a suffisamment de temps pour couler ou se stabiliser.
Nous avons pu
constater que des écosystèmes très endommagés vont souvent, avec le temps,
retrouver leur équilibre. Tout indique
qu’il existe un principe à l’œuvre pour guérir ce qui a été blessé ou brisé.
Le désastre
causé par un astéroïde entré en collision avec la Terre il y a des millions
d’années a provoqué l’extinction de 90% des espèces, y compris les
dinosaures. Cependant, avec le temps, la
Terre a produit une toute nouvelle « gamme » de toutes sortes de
créatures, plus particulièrement toutes les diverses catégories de
mammifères. Ces derniers ne seraient
probablement jamais apparus si ce désastre n’avait pas eu lieu.
Il ne s’agit
pas d’une apologie de ce qui se passe actuellement. La grande extinction qui se produit
aujourd’hui est due à l’irresponsabilité humaine et nous pourrons être les
créatures qui paieront le plus cher en bout de ligne. En outre, la prolifération des êtres humains
et la technologie destructrice ont atteint un point qui pourrait briser
l’équilibre de l’écosystème global et plonger la Terre dans un processus qui
aboutirait en un désert, comme cela semble se produire sur quelques autres
planètes.
LES IMPLICATIONS
L’histoire
qui nous vient de Thomas Berry comporte d’énormes implications pour bien des
dimensions de notre vie. Thomas Berry a
passé plusieurs années à essayer d’extrapoler quelques-unes de ces
implications, et il a fait appel à des collaborateurs œuvrant dans plusieurs
domaines de recherche pour l’aider dans cette entreprise. Examinons-en quelques-uns.
L’éthique
À la fin du
cinquième chapitre de The Dream of the
Earth (49), Thomas Berry affirme ceci à propos de la reconnaissance de la
primauté de la nature et de son fonctionnement spontané dans tout ce que nous
faisons :
« Je
suggère que c’est là la dernière leçon que nous donnent la physique, la
biologie et toutes les sciences, comme c’est aussi la sagesse ultime des tribus
et l’enseignement fondamental des grandes civilisations. Si cela a été caché par l’aspect adolescent
de nos développements scientifiques et technologiques antérieurs, cela devient
maintenant clair à une grande échelle.
Si nous y répondons correctement avec notre nouvelle connaissance et nos
nouvelles compétences, ces forces vont trouver leur expression intégrale dans
les spontanéités du nouvel âge écologique.
La tâche actuelle de la communauté humaine est de faire en sorte que
cela devienne réalité. » (Traduction de Daniel Laguitton)
Il résume son
principe éthique fondamental en ces mots : « Est éthique ce qui promeut la diversité, la communion, l’intériorité,
l’auto-gouvernance et l’auto-guérison de la Terre. Et ce qui lui fait tort est contraire à
l’éthique. »
Thomas Berry était aussi un grand défenseur des droits
de la Nature – de chaque espèce.
L’éducation
Nous devons
enseigner à nos contemporains qui nous sommes, d’où nous venons et quelle est
notre destinée. Pour Thomas Berry, cela
repose sur un nouvel encodage culturel en cohérence avec l’encodage génétique
de l’être humain qui découle, bien sûr, de celui de la Terre. Autrement, nous périrons et la planète avec
nous. Pour la toute première fois dans
l’histoire humaine, les sciences nous offrent une explication très cohérente de
toute l’histoire de l’univers, basée sur l’observation. Notre tâche est d’aider les gens à comprendre
le cheminement de l’univers, l’histoire de notre Terre et ses implications pour
notre propre encodage culturel pour ainsi devenir intimes avec la Nature. Par-dessus
tout, nous devons apprendre à écouter ce que l’univers nous dit. Et surtout, il nous dit aujourd’hui :
Racontez l’histoire. Thomas Berry
affirme aussi :
« Je
suis allé à la rivière et je lui ai demandé : ‘ Qu’est-ce que je vais dire ‘, et
elle m’a répondu : ‘ Raconte l’histoire ‘. Je suis allé voir l’arbre et je lui ai
demandé : ‘ Qu’est-ce que je vais dire,’ et il m’a répondu :
‘ Raconte l’histoire ‘. Je
suis allé voir l’oiseau dans l’arbre et je lui ai demandé : ‘ Qu’est-ce
que je vais dire ‘ et il m’a
répondu : ‘ Raconte l’histoire ’ ». (Traduction de Daniel
Laguitton)
Dans The Dream of the Earth (chapitre 8),
Thomas Berry suggère une série de cours qui pourraient être donnés dans les
collèges :
Un cours sur les phases évolutionnistes d’une
cosmologie fonctionnelle : origine de l’univers, formation des galaxies,
etc. Cela doit se situer dans le
contexte de l’air, de l’eau, de la nourriture qui nous maintiennent en vie.
Deuxièmement, un cours sur les diverses phases du
développement culturel humain pour reconnaître le génie des moments et des
lieux divers et ainsi trouver leur notre propre place dans cet espace culturel.
Troisièmement, un cours sur les grandes cultures ou
civilisations classiques puisqu’elles ont profondément façonné notre génome
culturel.
Quatrièmement, une étude de la phase technologique
scientifique jusqu’au moment où la conscience humaine s’éveille à l’histoire de
l’univers.
Cinquièmement, un cours sur l’âge écologique émergeant
qui remplace déjà l’âge anthropologique actuel.
Ce cours essaierait de situer l’être humain dans son contexte culturel
et d’amorcer un processus de guérison.
Sixièmement, il suggère un cours sur l’origine et
l’identification des valeurs.
J’ajouterai
que cette suggestion a été acceptée -- avec des modifications -- par certains
collèges, notamment St. Michael’s College
à l’Université de Toronto et aussi à la Holy
Names University à Oakland, en Californie, pour n’en nommer que deux.
Le bio-régionalisme (agriculture) :
Il nous faut
apprendre à vivre dans le contexte qu’offre notre bio-région. Le
mot « bio-région » n’est pas exactement la même chose que
« local ». Une bio-région est
un secteur suffisamment important et diversifié pour soutenir sa
population. Par conséquent, la région
peut être plus vaste ou plus petite selon la richesse de sa biodiversité et la
densité de sa population. De plus, nous
devons développer une mystique de notre relation à la terre, un sentiment de sa
sacralité, une façon de rappeler constamment le caractère sacré de la Nature et
de la Terre à travers différentes formes de rituels. Sans cela nous serons incapables de résister
à la tentation de la détruire.
Dans The Dream of the Earth (chapitre 12),
Thomas Berry suggère plusieurs rôles de la bio-région pour la communauté
humaine :
Que nous reconnaissions les droits de chaque espèce
dans sa bio-région ;
Que nous nous nourrissions à partir des ressources
offertes par la bio-région. Toute
bio-région possède sa propre économie.
Nous devons l’apprendre et la respecter.
Nous devons prendre part aux processus auto-éducateurs
de notre bio-région qui, par une expérimentation soignée, dessine son avenir.
Il y a une auto-gouvernance au sein de chaque
bio-région que nous devons apprendre à respecter sans imposer ce qui ne lui
appartient pas. Des rituels et des
célébrations en font partie.
Chaque communauté biologique porte en elle-même sa
propre auto-guérison. Nous devons
écouter et apprendre ce processus et collaborer avec lui. Notre guérison vient aussi de notre
soumission à la discipline de cette bio-communauté.
La communauté trouve son accomplissement dans chacune
et dans toutes ses composantes. Nous
devons nourrir notre esprit à ce puits.
Il y a ici une place importante pour la célébration et le rituel.
Malheureusement,
les Nord-Américains ne sont pas très doués pour identifier leurs bio-régions. Nous avons besoin d’aide. Nos frères et sœurs aborigènes pourraient
nous enseigner. L’identification des cours
d’eau est une composante importante d’une bio-région.
La science économique :
Thomas Berry
considère que la science économique est une question religieuse, et de
plusieurs points de vue. Avant tout, les
arguments qui défendent l’économie capitaliste sont insoutenables. Le postulat d’une croissance économique
exponentielle sans fin sur une planète limitée est foncièrement absurde. Nous savons tous cela, et pourtant les
économistes et les politiciens continuent à promouvoir cette croissance au
risque de nos propres vies et de celle de la Terre. Nous ne pouvons pas continuer à saccager la
source de notre maintien en vie. La
science économique doit inclure ce que nous devons au système de la Terre. Il nous faut édifier une économie qui apprend
de la dynamique de l’économie de la Terre.
Ces questions sont religieuses parce que le Christianisme doit
reconnaître sa collusion avec le développement d’une mentalité qui a mené au
viol économique actuel de la planète.
L’univers n’est pas simplement un objet ; il est sujet et nous devons apprendre à
respecter sa subjectivité. C’est
clairement là une question religieuse.
Steven
Eisenberg a plutôt suggéré que nous considérions une économie plus ajustée à la
dynamique de la Terre. Au lieu de baser
l’économie sur l’échange de biens évalués en fonction de leur rareté, il
suggère que nous considérions l’abondance offerte par la Terre et que nous
échangions les biens gratuitement. La
suggestion n’est pas sans fondement. Des
centaines, sinon des milliers de petits ou de moyens projets autour de la
planète démontrent de façon plutôt probante qu’une telle économie peut exister
et même fleurir, surtout si les sociétés sont structurées de manière à les
encourager. Ainsi, nous avons des fermes
biologiques, des coopératives de toutes sortes, des associations agricoles, des
usines ou des centres de production appartenant aux travailleurs, l’énergie
solaire, etc., etc.
La spiritualité (l’Univers sacré) :
Comme on
l’entend ici, le mot « spiritualité » réfère à un ensemble de notions et de
valeurs fondamentales qui nous guident sur le chemin de la vie. La spiritualité est aussi un ensemble de
relations que nous vivons avec d’autres créatures (et avec le créateur) qui
trouvent leur fondement dans un lien d’« esprit ». L’esprit n’est pas quelque chose de séparé ou
d’étranger au « matériel » tel que Descartes aurait voulu nous le faire
croire. L’esprit est plutôt une
dimension de ce que nous appelons le « matériel » ; il commande le respect pour la communion qui
nous unit dans notre diversité ; il
donne l’énergie et la direction pour gérer ces relations de manière sage et il
nous donne la sagesse pour supporter les moments difficiles et dangereux alors
que nous luttons pour maintenir ou recouvrer l’équilibre.
En ce sens,
la spiritualité chrétienne qui a façonné notre culture industrielle,
scientifique, technologique doit subir une transformation prodigieuse. Pour Thomas Berry, la pensée millénariste, la
transcendance divine, l’idée de rédemption et les attitudes envers le corps
humain constituent des défis particuliers.
Notre
spiritualité en sera une d’écoute attentive de ce que nous dit l’univers. Et, aujourd’hui, il semblerait qu’il dit surtout
: Racontez l’histoire.
Mary Evelyn
Tucker écrit :
… comme
cette réalité du temps de la croissance commence à se lever sur la communauté
humaine (bien qu’encore fortement contrée par les créationnistes), une
réalisation de la communion subjective de l’être humain avec la Terre commence
aussi à se faire sentir. Comme
l’exprime Thomas Berry, « L’être humain émerge non seulement comme un
Terrien, mais aussi comme un être de l’univers.
Nous portons l’univers dans nos êtres tout comme l’univers nous porte
dans son être. Les deux ont une présence
totale l’un à l’autre et à ce plus profond mystère duquel ont émergé à la fois
l’univers et nous-mêmes. » Cette
présence subjective des choses les unes aux autres est l’une des particularités
distinctives de la pensée de Thomas Berry.
Dans Le milieu divin, Teilhard parle de cette attraction intérieure des
choses dans le passage suivant : « Dans le Milieu Divin, tous les
éléments de l’univers se touchent par ce qu’ils ont de plus intérieur et de
plus définitif. » Thomas Berry a suggéré
que l’importance de la conscience de la dimension subjective de l’histoire de
l’univers ne peut pas être sous-estimée.
En effet, il écrit : « … la réalité et la valeur de l’aspect
intérieur subjectif sacré de tout l’ordre cosmique sont perçues comme la
condition essentielle pour que l’histoire ait vraiment un sens. » (Traduction
de Daniel Laguitton)
Les peuples indigènes :
Dans tout cela, il importe de reconnaître
que les cultures indigènes sont les cultures qui ont historiquement retenu
la plus grande proximité avec la Terre et avec ses principes fondamentaux. Nous ne sommes pas tous appelés à simplement
copier les cultures indigènes de nos régions du monde. Comme eux, nous devons chercher ensemble à
recouvrer et découvrir la voie pour aller plus loin. Cependant, leur sagesse a beaucoup à nous
apprendre, et nous devons leur accorder une attention spéciale dans notre
cheminement.
Plus d’une fois,
j’ai entendu des Premières Nations me dire : Vous, les Européens, vous avez
vécu ici pendant plus de 500 ans et vous n’avez toujours pas la moindre idée où
vous êtes. Si vous pensez à l’ensemble
des plantes et des animaux, aux rivières et aux vents seulement dans notre
région, combien parmi nous pourraient distinguer et nommer la majorité d’entre
eux ? Savons-nous vraiment où nous
sommes ? Sinon, comment pouvons-nous
savoir qui nous sommes ?
LA GRANDE ŒUVRE
Thomas Berry a commencé à parler de l’intégration de
cette grande histoire dans le tissu de notre activité sociétale comme étant la Grande œuvre ; une œuvre dont la grandeur tient à son
extrême urgence et à sa capacité de transformer totalement chaque aspect de
notre civilisation occidentale. La
nouvelle histoire de l’Univers redéfinit toutes nos relations et fixe de
nouvelles priorités pour nos interactions.
Cette œuvre est grande aussi en ce sens que, sans son intégration dans
nos vies, nous sommes destinés à disparaître comme espèce en même temps que
disparaîtraient la plupart des autres espèces sur la planète. Comme nous le savons tous très bien, le
processus est déjà bien avancé.
Thomas Berry
ne rejette pas les découvertes de la technologie moderne. Mais il suggère six principes qui devraient
guider leur utilisation (The Dream of the
Earth, chapitre 6). Je ne fais que
les énumérer :
Les technologies humaines devraient fonctionner dans
une relation intégrale avec les technologies de la terre.
Nous devons être clairs sur l’ordre de grandeur des
changements nécessaires.
Le progrès viable doit profiter à toute la communauté
de la terre.
Nos technologies doivent être intégrales.
Il faut une cosmologie fonctionnelle (qui offrira la
mystique nécessaire pour cette présence intégrale terre-être humain).
La nature est tout aussi violente que
bienfaisante. Nos technologies ont un
rôle défensif à jouer.
CONCLUSION
S’il y a un
seul message à retenir de ma présentation ce serait que vous sentiez émerveillés
devant l’univers et que ça devient le centre de toute l’énergie de votre vie.
La Terre possède un dynamisme psychique
profond et notre avenir humain dépend de notre intimité avec ce
dynamisme. Nous sommes appelés à devenir le moyen par laquelle la Terre en arrive
à exprimer son énergie psychique.
En
conclusion, que pouvons-nous dire de Thomas Berry ?
Premièrement,
nous pouvons dire qu’il était particulièrement bien placé pour pouvoir parler
des contributions des cultures indigènes du monde à une sagesse profonde que
nous avons perdue en Occident.
Deuxièmement,
il a été suffisamment courageux, comme prêtre, de suspendre en un sens toute la
tradition théologique de son Église pour recouvrer cette sagesse profonde dont
la Terre nous parle. (Dans The Dream of the Earth, il compare cela à la Cité de
Dieu de saint Augustin, c’est-à-dire une reconfiguration de toute l’histoire
humaine à la lumière d’un nouvel élément qui transforme, sans éliminer, tout ce
qui a été.) Tout en établissant un tout
nouveau cadre pour situer les êtres humains dans leur identité et dans le sens
de leur vie, il a trouvé quelque chose qui est cohérent avec la tradition
chrétienne, mais il la réinterprète d’une manière nouvelle et profonde.
Troisièmement,
il était extrêmement ouvert à ce que disent une variété de scientifiques :
en astronomie, en physique, en biologie, en chimie. Pourtant, il était aussi
critique du monde scientifique classique et, de fait, il propose de le situer
sur de toutes nouvelles bases qui n’ont jamais été élucidées auparavant.
Quatrièmement,
il a trouvé la notion d’histoire et d’écoute de l’Univers (et toutes ses
créatures et expressions) comme une voie essentielle pour que l’humanité arrive
à faire son prochain pas extrêmement difficile.
Cinquièmement,
c’était un optimiste qui croyait que nous avons une identité profonde et une
place fondamentalement importante dans l’Univers, et il nous a appelés à la
prendre.
Sixièmement,
par ses réflexions sur l’histoire culturelle à travers le monde, et par son
très vif intérêt pour la science moderne, il a été capable de construire un
récit épique susceptible de sortir de l’aliénation les êtres humains modernes
et les ramener à leur identité fondamentale comme personnes de la Terre et de
tracer la voie pour une humanité fondée sur cette compréhension.
À la fin de
cet essai sur « La nouvelle histoire » à la page 137 de The Dream of the Earth, Thomas Berry
écrit :
« Si,
depuis les débuts, la dynamique de l’univers a façonné le cours des cieux,
allumé le soleil et formé la Terre, si cette même dynamique a produit les
continents et les mers et l’atmosphère, si elle a réveillé la vie dans la
cellule primordiale et alors a amené à la vie la variété innombrable des êtres
vivants, et finalement nous a amenés à la vie et nous a guidé en toute sécurité
à travers les siècles turbulents, il existe une raison de croire que ce même
processus directeur est précisément ce qui a réveillé en nous notre
compréhension actuelle de nous-mêmes et de notre relation à ce merveilleux
processus. Sensibilisés à une telle gouverne de par la structure même et le
fonctionnement de l’univers, nous pouvons avoir confiance dans l’avenir qui
attend l’aventure humaine. » (Traduction de Daniel Laguitton)
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