Depuis quelques années je fais parti du Groupe de théologie contextuelle québécoise. (Voir le lien à côté.) Nous avons travaillé ensemble pendant un an pour préparer le texte qui suit (le premier de trois textes prévus sur le thème).
For some years now I am a member of the Quebec Contextual Theology Group . (See the link on the left.) We worked together for a year to prepare the following text (the first of three to come on the topic.) You can download an English version of the following text at
http://www.mediafire.com/view/?59g0pdicd7rs47e.
Le groupe de théologie contextuelle québécoise (GTCQ)
est formé de personnes oeuvrant en intervention communautaire ainsi qu’en
théologie. Depuis une trentaine
d’années, notre groupe réfléchit sur la
réalité de l’injustice sociale au Québec et s’efforce périodiquement de proposer des pistes d’analyse et d’action.
La présente réflexion sur la question du territoire se veut en continuité avec
celle qui a été entreprise par le Réseau œcuménique Justice et Paix lors de son
assemblée générale de 2011. Elle propose une mise en
contexte des éléments que nous comptons aborder dans quelques textes à venir. Dans un premier temps, nous
soulignerons ici comment l’actualité concernant l’exploitation des
ressources naturelles nous conduit à des interrogations inattendues sur notre
lien au territoire et sur les responsabilités qu’il implique.
Historiquement, l’activité minière a eu tendance à
s’exercer loin des régions densément peuplées. Les ravages causés par les mines
passaient donc inaperçus, sauf pour ceux qui venaient y travailler. Maintenant
que cette industrie a pratiquement épuisé à travers le monde les sources de
minerai et d’énergie qui étaient aisément accessibles, elle se montre beaucoup
plus audacieuse. Des mines sont maintenant exploitées dans des zones à
l’environnement fragile ou encore sur
des terres agricoles, à proximité de lieux résidentiels ou même en plein
territoire urbain, et, si incroyable que cela paraisse, jusque sous la mer. Que
ce soit pour le territoire revendiqué en vue de l’exploitation du gaz de
schiste ou pour celui qui est projeté pour le Plan Nord, une grande partie du
Québec est devenue une cible pour
l’industrie extractive.
La conjoncture exacerbe la situation. Ainsi, au plan
économique, la raréfaction des ressources minières, une demande sans précédent
de celles-ci par les pays émergents en plein boom industriel, la recherche
éperdue par les pays riches eux-mêmes d’une relance de leur propre croissance,
de même que l’endettement et les déficits budgétaires des États, se combinent
pour pousser à la hausse pour plusieurs années le prix des métaux. Il en
résulte la présente ruée vers ce nouveau Klondike.
Par ailleurs, au moment même où l’on prend de plus en
plus conscience de toutes les mesures historiques qui ont pu contribuer à
compromettre le lien des Premières Nations à leurs territoires, voilà que la
conjoncture économique joue à nouveau contre celles-ci. Les terres où elles ont
été refoulées («réserves») de même que les territoires qu’elles sillonnent depuis
toujours se trouvent convoités par le boom minier. À nouveau, les arrivants
tardifs du Sud se voient tentés de considérer ces territoires comme «vides» et
d’y ignorer tant les Autochtones qui y vivent que le caractère public d’une
grande partie de ces espaces, pour s’accaparer sans vergogne des richesses
qu’ils recèlent. Ce serait compter sans la résistance des Autochtones et de
leurs alliés ainsi que de l’ensemble de la collectivité québécoise.
C’est dans ce contexte que les compagnies minières se
présentent comme des sauveurs économiques; elles déclarent développer
l’économie québécoise en apportant de la richesse et des emplois qui profiteront à tout le monde; elles minimisent
cependant les risques pour l’environnement tout en
nous assurant qu’elles feront tout ce qu’il faut pour répondre aux
besoins de ceux qui pourraient subir
quelque inconvénient causé par les installations minières.
Et pourtant, la mine d’or à ciel ouvert de Malartic
est installée sur des terrains qui se trouvent dans la ville même et donc déjà
construits. L’industrie du gaz de schiste a déjà ciblé le territoire agricole
le plus fertile du Québec. Le projet de mine de niobium Niocan est situé sur des
terres agricoles de première qualité près d’Oka. Il ne s’agit pas là de mines traditionnelles, avec des tunnels creusés sous la
terre. Les mines d’or et de niobium
ouvrent en surface d’énormes cratères qui peuvent mesurer plus d’un kilomètre
de long. Un puits de gaz de schiste peut s’étendre, avec le temps, sur un rayon
d’un kilomètre à partir de son point de forage.
L’histoire démontre abondamment que nombre de sociétés
ont vu s’améliorer leur qualité de vie grâce à l’activité minière. Mais il est
évident, aussi, qu’il s’agit d’une industrie polluante et que, dans les années
récentes, elle est devenue carrément menaçante en raison de la mise en place de
méga-projets. Alors que l’activité minière peut être très rentable, les profits
sont presque entièrement accaparés par
les directeurs et par les principaux actionnaires des compagnies. En ce
qui concerne les communautés locales,
mis à part quelques «projets» de services minimaux pris en charge par les
compagnies, elles se retrouvent souvent encore plus pauvres. Lorsque des
compagnies font miroiter aux populations locales des promesses de boom
économique, les gens se laissent parfois prendre par l’espoir d’avoir plus
d’argent dans leur porte-monnaie. Toutefois, on peut s’interroger sur ce qu’on
entend par «bien vivre» dans un environnement minier. Ce «bien vivre» n’a-t-il
pas à voir avec la qualité de vie pour nous-mêmes, pour notre société et pour
les générations futures? Dans nos efforts pour mieux vivre, la société comme
les citoyennes et les citoyens individuels cherchent un moyen terme ou un
compromis qui leur permettrait à la fois de bénéficier de ce que la terre peut
offrir et de ne pas causer à celle-ci des torts irréparables.
Une bonne partie de la population du Québec est
vivement préoccupée à propos des tendances actuelles dans l’industrie
d’extraction chez nous. « Trou
Story », le dernier documentaire de Richard Desjardins, témoigne de
façon éloquente de ces préoccupations.
Les gens qui vivent près des mines se plaignent de
perdre leur maison ou leur qualité de vie, d’être soumis aux grondements des
dynamitages et à ceux des énormes camions qui défoncent les routes. Dans le cas
de l’exploitation des gaz de schiste,
les résidents redoutent notamment la contamination de la nappe phréatique, de
leur eau potable et de leurs systèmes d’irrigation. Cette industrie utilise
quotidiennement des centaines de milliers, sinon des millions, de litres d’eau.
Les gens craignent pour la santé dans leurs communautés locales.
Les Québécois et les Québécoises ont toujours pensé
qu’ils avaient les pleins droits sur leur propriété individuelle, que celle-ci
était inviolable. Mais leur surprise a
été brutale ces dernières années. Selon une tradition britannique, les
détenteurs d’une propriété n’ont des droits que sur la surface de celle-ci; le
sous-sol demeure la propriété du gouvernement. C’est le cas pour le Québec,
pour le Canada et pour la majorité des pays du monde. Un gouvernement peut
céder des droits miniers à quiconque en fait la demande. Dans le cas du Québec,
on peut faire cela par un simple clic sur Internet, et cela pour un coût minime
de dix cents par hectare. Des profits énormes peuvent être réalisés dans cette
industrie reconnue pour son approche où
«les loups se mangent entre eux». Une
fois qu’une demande
(claim) a été acceptée
par le gouvernement, la compagnie peut alors approcher les propriétaires locaux pour négocier «un accès de
surface». Quand des propriétaires résistent, des compagnies ont parfois recours à l’intimidation ou
font exproprier leur terrain au nom du «plus grand intérêt économique» de la
société.
Ces procédures ne font pas que heurter des
intérêts individuels ou provoquer le syndrome du «pas dans ma cour». La population du Québec ressent un profond
attachement collectif au territoire qui
l’a nourrie. Elle y reconnaît les traces de son
histoire et un puissant facteur d’identité collective. Autant elle apprécie les emplois possibles,
autant elle répugne à le laisser défigurer ou
à voir ses communautés se faire diviser ou même
déraciner.
Les
Premières Nations sont également touchées et préoccupées par l’orientation que
prend l’industrie minière au Québec. Et cela ne date pas d’hier. Depuis l’arrivée des Européens,
qui y voyaient une «contrée vide» et qui se mirent en frais de se
«l’approprier», les peuples autochtones sont restés stupéfaits de ce dont ils
ont été témoins. Ces peuples se voient,
en effet, en profonde relation
d’interdépendance avec le territoire et réfèrent à celui-ci comme à la
«Terre-Mère». Qui ne voudrait pas protéger sa mère? Ainsi, les peuples autochtones se considèrent eux-mêmes
comme les protecteurs du territoire qu’ils ont habité depuis des millénaires et
sur lequel ils ont acquis le droit d’exercer cette protection.
Dans cette perspective, la communauté de
Kanesatake s’inquiète de l’éventuelle installation
d’une mine à ciel ouvert de niobium, près de la riche zone agricole qui
avoisine le lac des Deux-Montagnes. Les fermiers locaux partagent la même
préoccupation. Le peuple des Cris a également
tiré la sonnette d’alarme concernant la direction prise par le Plan Nord, et
les Innus, quant à eux, reprochent au
gouvernement de ne pas les avoir fait participer aux consultations.
Le droit international est aussi devenu un facteur
important dans la controverse. Le Canada a finalement signé, le 12 novembre
2011, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones.
Celle-ci exige, en principe, le consentement libre, préalable et éclairé
des communautés autochtones avant que les industries minières puissent
s’installer sur leurs terres. De plus, une norme similaire de la Convention 169
de l’Organisation internationale du travail est de plus en plus interprétée au
Québec comme une exigence qui ne se limite pas aux seules communautés
autochtones.
Où
cela nous mènera-t-il? Peut-être à une meilleure appréciation que notre «droit
au territoire» n’est pas absolu mais conditionnel à la protection qu’on lui
accorde. Pourquoi la population entière du Québec ne revendiquerait-elle pas elle aussi que son
rapport historique au territoire lui ait octroyé la responsabilité de le
protéger? De même, la nouvelle donne ne nous indique-telle pas que l’enjeu
n’est pas de lutter les uns contre les autres, mais plutôt de former un
partenariat à trois : la population du Québec, les Premières Nations, et
la terre elle-même dans toute sa diversité?
Pour
notre part, refusant de laisser au seul rapport de force, d’ailleurs le plus
souvent inégal, le soin de décider de l’issue des conflits, nous nous proposons
une double tâche, dans nos prochains textes,
pour contribuer à un discernement collectif plus sain.
Tout d’abord, après avoir pris acte des positions qui
s’affrontent et les avoir caractérisées, nous chercherons à en débusquer les
ressorts méconnus, à expliciter les visions du monde où elles s’ancrent, aux
plans anthropologique, culturel et éthique, par exemple. Nous serons ainsi amenés à réfléchir au rôle
joué par la propriété privée et par la propriété collective dans notre
tradition occidentale, et plus particulièrement aux façons dont notre humanité
elle-même est affectée par le type de rapport que nous entretenons avec ces
parcelles de la planète que nous considérons comme notre territoire et qui
définit, en quelque sorte, notre relation à la Terre elle-même. Il sera également important de retracer l’histoire
de la notion de protection de la Terre, un concept qui est devenu central pour
le mouvement écologique depuis quelques décennies.
En
second lieu, nous tenterons de mettre en évidence quelques éléments d’une
évaluation théologique et éthique de ces positions et visions, puis d’en tirer
des implications politiques, c’est-à-dire de discerner comment le rôle de
l’instance publique, ou de l’État, est interpellé par la crise du rapport au
territoire et appelé à être redéfini par un Nous responsable et visionnaire.
LE
GROUPE DE THÉOLOGIE CONTEXTUELLE QUÉBÉCOISE
15
mars 2012
La signature d’une telle Déclaration ne comporte en tant que telle aucune obligation juridique. De plus, son
endossement par le Canada a été fait «avec qualifications», ce qui équivaut à
faire prévaloir les dispositions de la Constitution, des lois et des politiques
actuelles du pays sur celles de la Déclaration. Ce qui inclut la Loi sur les
Indiens et l’ensemble de la politique sur les traités. En plus, cette signature
n’implique aucune contrainte de calendrier ou autre pour la mise en application
des standards indiqués dans la Déclaration.
Les Premières Nations ainsi que les Églises canadiennes sont fort
préoccupées par cette absence de contrainte. C’est pour cette raison que la
Coalition inter-Églises Kairos, en collaboration avec les
Premières Nations, mène actuellement une
campagne pancanadienne pour que l’ONU mette en place une convention sur
les droits des autochtones. Celle-ci marquerait un autre niveau d’obligation.
S’il y avait une convention à cet égard et si Canada la ratifiait, le
gouvernement serait obligé par la loi internationale de la respecter par delà
notre propre Constitution, nos lois et
toute norme administrative actuelles. Sinon, le Canada pourrait faire
l’objet de sanctions.